3 Dans l’intimité de Madame Adélaïde | Les carnets de Versailles

Dans l'intimité
de Madame Adélaïde

Une commode de marqueterie losangée, dotée de bronzes de qualité exceptionnelle, a retrouvé l’emplacement pour lequel elle avait été conçue, il y a deux cent cinquante ans. Une façon très concrète pour le Château de renouer avec le passé.

© Château de Versailles / Christophe Fouin.

L’on sait comment la dispersion du mobilier royal, au moment de la Révolution, a fait perdre au Château cette part d’âme que savent transmettre, dans leur raffinement et leur cohérence, meubles, peintures, textiles et objets d’art. Tout le travail des conservateurs, depuis cent trente ans,  s’est attaché et s’attache, inlassablement, à ressusciter ce lien tangible. Grâce à l’implication de la Société des Amis de Versailles et notamment au legs, en amont, d’une très généreuse bienfaitrice du Château, madame Baraille, qui a laissé sa fortune pour faire revivre le passé historique de la résidence royale, voilà le rêve devenu réalité : le retour à Versailles de la commode réalisée en 1776 par l’ébéniste Jean-Henri Riesener (1734-1806) à l’endroit même pour lequel elle avait été conçue. Elle a retrouvé sa place dans le cabinet de retraite de Madame Adélaïde (1732-1800), fille de Louis XV et tante de Louis XVI.

Trajectoire Outre-Manche

Au moment de sa livraison, le 18 décembre 1776, sous le n° 2881, inscrit sur les panneaux arrière, elle était décrite comme « une commode de marqueterie de 4 pieds 2 pouces de large 22 pouces de profondeur et 34 pouces de haut à dessus de marbre blanc veiné, et 5 tiroirs fermants à clef, représentant par-devant au milieu un vase de jaspe sanguin garni de fleurs dans un fond de satin gris, orné de moulures, cadres, consoles, chutes, feuilles d’ornements, soupente et guirlandes ; le tout de bronze ciselé doré d’or moulu ». Livrée en même temps qu’un secrétaire par le même ébéniste, elle prenait place, au rez-de-chaussée du corps central, dans l’appartement que Madame Adélaïde occupait depuis 1769 et qui sera le sien jusqu’à la Révolution. Différent du grand cabinet, pièce d’apparat rangée à l’étiquette, le cabinet de retraite fait partie de ces lieux qui, dans les appartements royaux et princiers, laissent le mieux percer, en tant que pièces à caractère privé, le mystère du goût de leurs hôtes.

« Le cabinet de retraite fait partie de ces lieux qui, dans les appartements royaux et princiers, laissent le mieux percer, en tant que pièces à caractère privé, le mystère du goût de leurs hôtes. »

Après plusieurs années à Versailles, la commode fut envoyée au château de Bellevue que le roi Louis XVI avait attribué à ses tantes, en 1774, et dont elle porte, par trois fois, la marque au fer. À l’issue de la Révolution, elle passa à une date indéterminée en Angleterre où on la retrouve dans les collections de Lord et Lady Carnarvon. Deux ans après la mort du célèbre égyptologue, elle fut vendue, en 1925, à l’antiquaire Isaac Founès, puis remise sur le marché de l’art dix ans plus tard. Au moment de son acquisition, elle se trouvait dans la collection particulière de Juan Guillermo de Beistegui, depuis toujours amoureux du Château et membre bienfaiteur de la Société des Amis de Versailles durant de nombreuses années.

© Château de Versailles / Christophe Fouin.

Une éclatante illustration du travail de Riesener

En dépit de la perte de son marbre blanc veiné, cette commode illustre remarquablement la production de Riesener des années 1770-1780, tant par son élégance que par l’équilibre de son architecture : l’ébéniste sut répondre aux attentes du Garde-Meuble et de la famille royale, en mettant au point un type de commodes empreintes de force, de noblesse et de majesté. Sa marqueterie de couleurs, révélée notamment au moment de la dépose de certains bronzes, s’appuie sur un dessin de treillage structuré et à effet de mosaïque, la faisant entrer dans la catégorie des productions qualifiées de « très ouvragées » par l’ébéniste dans ses mémoires. Les ovales cantonnant les losanges étaient teints en bleu et, au centre de ces derniers, apparaît la fleur de tournesol, motif cher à Riesener. Quant au panneau central, à décor de vase de fleurs, il relève de l’une des deux sources d’inspiration généralement utilisées par l’ébéniste qui alterne entre trophées allégoriques et sujets pastoraux. Enfin, la commode se remarque par le traitement riche de ses bronzes, de très grande qualité, dont le mouvement, comme celui des chutes encadrant le panneau central, souligne avec élégance l’architecture du meuble, selon les formules mises au point par le talentueux Riesener.

Élisabeth Caude,
Conservateur général au musée national
des châteaux de Versailles et de Trianon

 

L’acquisition de cette commode insigne de Jean-Henri Riesener, livrée pour l’une des filles de Louis XV en 1776, a été rendue possible grâce à la Société des Amis de Versailles qui réalise son plus important mécénat depuis sa fondation, en 1907. Son financement a été assuré grâce aux legs de mesdames Simone Baraille, Micheline Cavallo et Monique Genneret.

 

Des commodes très demandées


En 1774, Jean-Henri Riesener vient d’être nommé ébéniste ordinaire du Garde-Meuble de la Couronne. La commode de Madame Adélaïde figure donc parmi ses toutes premières productions fournies à la famille royale. Parmi les trente-six commodes de marqueterie et de bronze réalisées entre 1774 et 1780, elle offre un compromis esthétique très intéressant, entre l’exemplaire à fond satiné du cabinet intérieur de Louis XVI au Petit Trianon (1777) et celui, très riche, de la bibliothèque du souverain en son appartement intérieur (en place en 1784). Le modèle plaisait, chaque membre de la famille royale désirant en posséder dans ses cabinets intérieurs.

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