3 Une Romaine de marbre | Les carnets de Versailles

Une Romaine de marbre

Une campagne d’adoption des bustes situés au-dessus de la cour de Marbre est en cours afin de sauver ces chefs-d’œuvre de l’usure du temps. Parmi les 84 visages de pierre, notre regard s’est porté sur une mystérieuse dame romaine.

Exposés aux injures du temps depuis près de trois siècles, les 84 bustes ornant les façades de la cour de Marbre et de la cour Royale devaient faire de Versailles une « nouvelle Rome ». Depuis la Renaissance, l’Antiquité était la période de référence pour toutes les élites. François Ier, déjà, avait amorcé ce goût à Fontainebleau qui portait également le qualificatif de « nouvelle Rome », mais jamais un roi n’avait rassemblé autant d’œuvres antiques ou, à défaut, de copies d’après ces modèles.

Jules César et les onze premiers empereurs d’Auguste à Domitien étaient associés à l’apogée de la Rome impériale où le pouvoir, accompagné du titre, était parfaitement transmis. La référence à cette époque glorieuse et universelle était pour Louis XIV un moyen de légitimer son propre pouvoir en revendiquant, du moins de manière symbolique, l’héritage de ces empereurs 1. L’installation de ce type de bustes représentant des empereurs et impératrices romaines était donc tout à fait naturelle à Versailles, qui venait de devenir la résidence officielle du roi de France.

Le buste de dame romaine, retrouvé dans la réserve de la Ménagerie dite de la Poulinière du domaine national de Versailles, faisait partie de cet ensemble majestueux destiné à la glorification de la France entière. Grâce à l’inventaire dressé en 1722, le seul mentionnant précisément l’emplacement de chaque buste dans le Versailles des Bourbons, il a été possible de déterminer son emplacement. Ce buste y est décrit comme « un buste de femme dont la tête est antique, coiffée de ses cheveux, ayant deux nattes à côté des oreilles, la tête droite, le regard incliné sur la gauche ; un morceau de draperie qui est sur l’épaule droite lui couvre la mamelle et toute la partie gauche, piédouche de couleur 2 ». Placée sur la façade sud de la cour Royale, au-dessus des grilles dorées du vestibule menant à l’escalier de la Reine, cette dame romaine devait accueillir les visiteurs, comme les habitués, de la cour de France.

Ce buste, dont le sculpteur reste inconnu, est d’une belle facture même si aujourd’hui les traces du temps sont visibles sur l’ensemble de la draperie et particulièrement sur le visage où, en plus d’avoir perdu l’extrémité du nez, une partie de la surface en marbre a disparue. Bien que la description indique une tête antique, ce buste semble être monolithique. D’autres bustes des façades présentent en effet, après expertise scientifique, une tête véritablement antique rapportée. C’était pratique commune que d’utiliser un fragment d’une sculpture antique sur une œuvre moderne. La possession d’un antique, même fragmentaire, participait à une telle richesse qu’il était courant de réaliser des corps de bustes pour présenter une belle tête. Il semble possible d’associer le buste à la figure de Sabine, l’épouse de l’empereur Hadrien. La présence féminine sur les façades n’était pas rare et le buste de dame romaine fait partie d’une série de quatre bustes encadrant les grilles de l’escalier au programme alternant homme et femme. Ainsi cette dame romaine est entourée, à sa droite de l’empereur Septime Sévère et, à sa gauche, d’un empereur non identifié, probablement Domitien suivant l’inventaire de 1722. Tout comme les deux séries des douze Césars que le roi exposait dans ses Grands Appartements, les bustes des façades devaient exalter une Rome universelle. Ces bustes, et l’ensemble du décor sculpté des cours, font ainsi partie d’un programme politique et artistique qui a fait de Versailles une demeure royale admirée de tous.


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